Il n'arrive pas à dormir ...

Pourtant la fatigue est là, toujours là, mais ça fait des mois que le sommeil lui fait défaut et que des heures durant il regarde les stries mouvantes au plafond, les lumières pâles des phares de toutes ces âmes qui traversent la nuit sur la voie rapide que borde son immeuble ...

Un air de blues gémit dans l'obscurité et enroule l'espace et le temps dans une langueur qui semble vouloir s'offrir l'éternité. Et dans son esprit défilent toutes les images des temps passés, de ces moments vécus qui se sont enfuis et paraissent si loin à présent.

Et surtout "elle", toujours "elle" ...Elle avait ce regard si plein de ce qui fait défaut à toutes ces ombres qui déambulent au long des trottoirs, accrochés mollement aux barres des rames de métro, des attachés-caisse à la main et des valises sous leurs yeux évasifs. Elle avait ce petit quelque chose qui attire le regard et continue de le hanter bien après encore qu'on l'eût perdu de vue. Ces grands yeux qui dévorent la vie et tous ces gestes qui y mettent de la magie quand on s'y attache. Elle avait été comme un rayon de soleil sur la chappe de plomb de ses jours tristes, un ange lumineux qui lui avait rendu visite avant de rejoindre son ciel ... trop vite, trop tôt ...

L'ange lui avait fait entr'appercevoir  le paradis puis l'avait laissé à son enfer sur terre : toutes ces heures si semblables et si vides sans ses long cheveux pour y laisser un sillage aux fragrances vanillées, sans ses rires pour résonner en écho aux battements de son coeur, sans sa présence pour donner à chaque instant tout son sens ...

Des mois puis deux années ont passé et c'est toujours le même vide qui habite ses pensées, la souffrance s'est faite moins vive mais sa vie, elle, ne cicatrise pas, ses journées sont une plaine déserte ou rien n'a plus ni saveur, ni odeur, ni même du goût ... l'arôme s'est gâté quand l'oiseau de fer s'est abîmé en mer et que l'ange a sombré dans les flots, emportant avec lui l'eden promis ...

Des nuits comme celle-ci la fraîcheur qui fait frissonner sa peau lui rappelle la chaleur des étreintes, la douceur des baisers qui harcelaient son corps sous les draps ...

Il tire à lui la couverture et enfouit rapidement ses yeux humides dans les plis épais de l'oreiller, espère y étouffer son dernier souffle et que jamais le matin ne le trouve et ne le rappelle à la routine ... jamais plus ...