Bip ... bip ... bip ...

Juste ce petit bruit en cordon ombilical pour la raccrocher au monde, juste lui pour venir jusqu'à elle lui dire que son coeur bat encore quelque part au fond d'elle ...

Rien d'autre que ce bruit, pas de sensations ... seul ce son dans une obscurité épaisse et puis un tout petit bout de conscience qui s'accroche. Qui s'accroche à quoi ? Qui s'accroche à qui ? A ce corps qui n'a d'Anise que le nom ? A ce néant qui traverse les années comme un gallion fantôme balloté sur l'écume de l'existence, sans but et sans repère ?

Les pensées qui jaillissent timidement, tiraillées entre détresse et abandon, tentent de rassembler des bribes de souvenirs ... seules quelques images jaunies d'un vieil album cèdent à ses efforts de mémoire : sa mère qui crie, son père qui soupire, sa mère qui pleure, son père qui s'enfuit comme toujours ... la même scène mais pas toujours dans le même temps ou le même lieu. Des scènes où elle n'est toujours que la terre brûlée qu'abandonnent derrière eux une mère qui lui reproche sa présence et un père qui se définit par son absence. Les pensées puis l'angoisse ... l'angoisse d'être toujours là sans savoir où ni comment.

 Il ne reste que cet univers étrange qu'elle a construit comme son refuge intérieur, ces bouts de n'importe quoi collés ensembles et qui font une existence à défaut de vie. Des chiffres, des lettres, des bribes et images, des morceaux de contes qu'elle mélange comme des cartes à jouer et qui se réarrangent selon sa fantaisie : à chaque jour une nouvelle donne. Seulement aujourd'hui il n'y a que du noir, du silence et diu vide dans la pioche ...

Du vide ... celui qu'elle esquivait avec des marelles invisibles sur les trottoirs, en voyageant dans les courbes de relief qui se dessinent sur les tables d'école ou se laissant bercer par le ressac des marées sonores lorsqu'elle appuie ses paumes sur ses oreilles. Ce vide avec lequel elle avait appris au cours des années à jouer à cache-cache pour ne pas devoir  se confesser à lui d'une solitude qui lui pesait mais dont elle avait fait sa meilleure ennemie. Le vide qui maintenant l'assaillait de vérités douloureuses : personne ne viendrait la chercher ici, parce que personne ne savait qu'elle existait sinon ceux qui ne l'avaient jamais regardé ou écouté. Rien ni personne ...

Et soudain, comme un écho dans cet abîme de noirceur ...

- Qui es-tu ?

Elle entendait des voix, on venait la hanter dans sa géôle.

- Quel est ton nom ?

Anise, elle s'appelait Anise, c'est comme ça qu'on l'appelait oui ...

- Tu m'entends ?

Oui, elle l'entendait cette voix calme qui faisait irruption dans son monde; elle l'apaisait et le vide semblait un peu moins proche de l'avaler à présent ...

 Puis le silence revint, elle guetta un moment avant qu'un voile n'enveloppe ses pensées et que son esprit ne s'assoupisse.